La cellule familiale joue un rôle fondamental dans les départs de vacances. Il convient de souligner ici la forte promiscuité qui est recherchée comme un des attraits des séjours de vacances, les regroupements de familles dispersées à l’occasion des moussem(*) et le rôle de la famille de type conjugal dans la diffusion des besoins en tourisme. De ce fait, la prédominance des touristes venus en famille est remarquable. Elle est d’autant plus frappante qu’elle traduit parfois la reconstitution, à l’occasion des séjours touristiques, de la famille élargie à partir de cellules conjugales éclatées le reste de l’année. Ceci traduit la permanence de liens étroits entre les différentes cellules issues du même groupe familial élargi.

Cette recherche de la promiscuité et des regroupements se traduit également par la faiblesse de la fréquentation de l’hôtel en particulier et des formes d’hébergement commercial en général, au profit du séjour chez l’habitant ou dans le camping.

*Le moussem est, à l’origine, un rassemblement d’une ou de plusieurs tribus autour du tombeau d’un saint ou d’un ancêtre, qui peut durer entre une journée et une semaine. Les pèlerins campent sous des tentes et participent, pendant toute la durée du moussem, à des pratiques rituelles mais aussi à des distractions et divertissement. Voir à ce propos M. Berriane, 1990, et F. Reysoo, 1988.

La majorité écrasante des vacanciers marocains est constituée de cellules familiales

80% des ménages enquêtés sur les lieux de vacances sont constitués de familles, près de 15% sont des amis qui séjournent ensemble et 5%, enfin, des individus qui prennent des vacances seuls. Avec, d’une part, une moyenne de 6,3 personnes par ménages (5,5 pour le Maroc urbain) et, d’autre part, plus de la moitié des familles qui sont composées de 6 personnes et plus, ces ménages sont de tailles appréciables.

La propension des jeunes à partir pour des séjours touristiques sans leurs familles est assez fréquente (14,2% des ménages rencontrés sur les lieux d’arrivées étaient composés d’étudiants et d’élèves).

Mais malgré cela, les séjours touristiques restent dans leur majorité écrasante le fait de familles. En dépit de toutes les mutations qui l’ont affectée dans le sens d’un éclatement, l’institution familiale demeure le cadre idéal pour la réalisation de divers besoins qu’éprouve l’individu. La liberté, toute relative, de la femme réduit ses possibilités de voyager seule ou avec des amis. De ce fait, les groupes d’amis rencontrés sur les lieux de vacances sont composés uniquement de personnes de sexe masculin. Les difficultés économiques imposent aussi une cohabitation de la majorité des membres de la famille au cours des séjours touristiques. Les liens, enfin, que maintiennent encore les différents membres de la famille avec celle-ci, sont toujours fermes et solides et se traduisent par des voyages collectifs. Ce dernier facteur explique notamment l’augmentation de la taille du ménage lorsque celui-ci se déplace sur le lieu de vacances.

La pratique du tourisme révèle donc un intéressant aspect de l’évolution de l’institution familiale marocaine

Si, en effet, le modèle du ménage conjugal tend à se développer parmi certaines couches sociales urbaines, l’emprise de la famille étendue demeure vivace. A plusieurs occasions et en de nombreuses circonstances le couple conjugal se trouve réinséré dans un tissu de relations plus ou moins dense qui le rattache régulièrement et organiquement au groupe familial élargi. A l’occasion des vacances que différentes familles parentales passent ensemble, on assiste parfois à la reconstitution de la famille « patriarcale ». Différents couples appartenant au moins à deux générations différentes, sinon trois, auxquels s’ajoutent d’autres frères et sœurs célibataires, se réunissent autour des grands-parents et sous le même toit. Cette « famille-souche » ne présente pas, certes, toutes les caractéristiques du groupe patriarcal d’autrefois. Celui qui joue le rôle du patriarche, par exemple, a perdu de son autorité puisqu’il ne détient plus le pouvoir économique. Ce sont désormais les enfants – de sexe féminin éventuellement- qui se cotisent pour financer le séjour.

Ils interviennent, par conséquent, dans la prise des différentes décisions nécessaires au déroulement et à l’organisation du séjour. Ils peuvent se libérer notamment des contraintes sociales et familiales qui pesaient autrefois sur les relations entre parents et enfants (promiscuité entre les deux sexes, absence de gêne, liberté de se déshabiller, et de circuler en maillot de bain et bikini en présence des parents).

Ainsi, le développement du tourisme moderne au sein de la société marocaine, bien que résultant en partie d’un processus d’innovation dans les habitudes, ne s’accompagne pas de l’individualisme et de l’intimité du couple qui marquent les départs en Europe occidentale. Des raisons économiques évidentes interviennent pour expliquer l’organisation collective des vacances. Mais le maintien de liens étroits entre les différentes cellules familiales se trouve aussi à l’origine de ces structures.

En fin de compte, une pratique moderne du tourisme contribue curieusement au maintien des structures traditionnelles qui sont ici les structures familiales d’origine patriarcale.

Cette conclusion doit cependant être fortement nuancée. Seule la forme de ces structures est maintenue, car le fond, ainsi que les rapports entre les différentes générations sont peu sauvegardés.

Si cette spécificité des conduites touristiques marocaines trouve son origine comme cela vient d’être démontré dans les particularités culturelles et sociologiques de la société marocaine, c’est aussi une réponse à des structures d’hébergement hôtelières qui ont été d’abord et avant tout conçues et aménagées pour la clientèle étrangère.